Qu’est-ce que le bonheur ?

Rencontre avec Boris Cyrulnik, neurologue et auteur, sur la question du bonheur. Le bonheur est à la portée de tous. Boris Cyrulnik nous dit pourquoi.

De quoi dépend le bonheur ?

BC : On est tous responsables du bonheur ou du malheur. Tous, ça veut dire moi, vous, la famille et la culture. Tout le monde y participe pour le construire ou le détruire. Mais il y a des individus qui sont plus ou moins sensibles, d’autres qui sont plus ou moins indifférents.
En plus le bonheur est une notion sociale qui est apparue avec la Révolution française. Avant Saint Just, on ne pensait pas que le bonheur pouvait être donné sur Terre. On passait sur Terre dans une vallée de larmes entre deux paradis : le paradis perdu à cause d’Adam et Eve et le paradis à regagner peut-être si vous avez été bien sage et bien soumis. Entre ces deux paradis, il y avait la vallée de larmes. C’est la Révolution Française qui a dit « pas du tout, on doit, on peut acquérir le bonheur sur Terre ». C’est une révolution mentale.

Bien-être et bonheur

BC : Il y a le sentiment de bien-être. Beaucoup de cultures n’ont pas pensé au bonheur ou le mot n’existe pas. En revanche il y a des marqueurs de bien-être, se sentir bien physiquement, éprouver le plaisir de vivre, de travailler, de rencontrer, de parler et ces marqueurs de bien-être peuvent s’appeler bonheur.

Le bonheur, dans la tête ou le cerveau ?

Boris Cyrulnik : Il peut y avoir des causes biologiques car on sait par exemple que certaines tumeurs cérébrales, en touchant certaines zones du cerveau, provoquent des intenses douleurs mentales, on est désespéré, on est déprimé alors que rien n’a changé dans notre contexte et notre histoire, une autre zone stimulée à côté provoque un intense sentiment de bonheur alors que rien n’a changé dans notre contexte et dans notre histoire. Il y a des substances qui provoquent des extases et d’autres qui provoquent des dépressions, une cortisone provoque des moments d’euphorie et d’autres substances comme la réserpine provoquent des moments de dépression intenses.

Ça se construit dès la petite enfance ?

BC : L’essentiel de la construction du bonheur, c’est les interactions c’est-à-dire interactions préverbales, les bébés en fin de grossesse et au cours des premiers mois de la vie acquièrent une aptitude à être heureux parce qu’ils acquièrent une aptitude à parler et à établir des relations. S’ils sont isolés, ils n’acquièrent pas cette aptitude. S’ils sont seuls et sans parler, statistiquement, il risque d’y avoir beaucoup de difficultés et d’être malheureux dans leur vie mais s’ils ont été bien entourés, dernière semaine de la grossesse, premiers mois de la vie c’est-à-dire bien avant la parole, et bien ils ont acquis une confiance en eux qui fait qu’à partir du 20ème mois ils vont apprendre à parler et à interagir et donc ils seront sur le chemin du bonheur. Ensuite à l’école, si on a des amis, on peut compter le nombre d’amis. Les résultats scolaires sont secondaires parce que si vous connaissiez le nombre de mauvais élèves qui sont devenus de grands esprits qui marquent notre culture…

Le bonheur dure-t-il longtemps ?

BC : Dans le grand âge, on voit que contrairement à ce qu’on dit, 75% des gens de plus de 70 ans continuent à faire la fête. Mais cela fait quand même 30% qui dépriment et qui sont malheureux alors que c’est 12 à 15% quand on est adolescent. Donc c’est vrai que la courbe du malheur monte avec l’âge mais à 70 ans il y a quand même 70% des personnes âgées qui jouent au tennis, courent le monde ou font la fête.